L’empathie, c’est à dire la capacité de se mettre à la place de l’autre, de ressentir les émotions (empathie affective) ou comprendre les croyances de l’autre (empathie cognitive), est considérée comme « un composant nécessaire à une coexistence harmonieuse des individus » nous explique Jean Decety, professeur à l’université de Chicago et expert dans le domaine. [1] C’est un de ces concepts dont on vous aura assuré, en séminaire de communication ou de résolution de conflits, qu’il est in-dis-pensa-ble !

Ben oui, sauf qu’être empathique est souvent bien plus facile à dire qu’à faire… Avoir de l’empathie pour quelqu’un qui nous écrase les pieds en rentrant dans le métro – sans pour autant s’excuser – ou pour un collègue qui passe son temps à plomber l’atmosphère collective n’est pas une mince affaire.

Pourquoi est-ce si difficile et quels sont les facteurs qui pourraient nous empêcher d’avoir de l’empathie ?

Voici 4 facteurs investigués par les neurosciences et pouvant nous aiguiller quant au pourquoi j’ai du mal avec l’écraseur de pied du métro. [1] [Pour ceux qui seraient d’abord curieux de savoir un peu plus ce qu’est l’empathie et comment ça marche dans le cerveau c’est par ici (vous y verrez que les neurones miroirs ne sont pas la seule théorie à disposition !].
 

Facteur N°1 : Le type de relation que nous avons avec l’autre

 
Ce premier facteur ne va sûrement pas vous surprendre : plus j’aime quelqu’un, plus je vais avoir de l’empathie pour lui. Imaginez un être cher en train de se faire triturer par des aiguilles, ou de se faire marcher sur le pied, puis imaginez un inconnu recevoir le même châtiment, et bien votre cerveau ne réagira pas de la même façon. C’est ce qu’ont montré Chen et ses collègues dans leur étude « Love hurts : an fMRI study« , (cf. figure 1 ci-dessous où l’on voit l’activation en jaune des parties du cerveau associées à la perception de la douleur lorsque la personne visualise la douleur sur soi, sur un être aimé ou un inconnu).
 

Facteur N°2 : Notre propre état émotionnel

 
Imaginez que juste avant de rentrer dans le métro, j’ai appris une super mega bonne nouvelle. Vais-je percevoir mon écraseur de pied de la même manière que si, au contraire, je viens d’apprendre que mes impôts ont encore augmenté cette année ? Peu probable, selon cette étude de Niedenthal et son équipe. Mon simple état émotionnel va influencer la façon dont je perçois les émotions des autres. Et bien sûr, ma façon de percevoir les émotions de l’autre risque d’influencer largement ma façon d’interpréter et donc de réagir à son comportement envers moi. A moins d’être ronchon de nature, je vais avoir plus de facilité à me dire que, finalement, il ne l’a peut-être pas fait exprès et qu’il est peut-être en retard pour un rdv important, si je suis de bonne humeur…
 

Facteur N°3 : Sensibilité et capacité à réguler nos émotions

 
Il est un fait indéniable : nous n’avons pas tous la même sensibilité. Il suffit que nous ayons grandi dans un environnement où avoir (et exprimer) ses émotions était un gros mot pour que l’on ai éteint l’interrupteur à émotions depuis belle lurette. Il se peut aussi que l’on soit – dans le fond – de nature très sensible, mais que, suite à quelques claques émotionnelles de taille, nous ayons construit un blindage à émotions. Un blindage utile à ce moment là, certes, mais qui nous empêche aujourd’hui d’entrer en résonance empathique avec l’autre. Comment puis-je ressentir et comprendre les émotions des autres, si je ne suis pas, moi-même, en contact avec mes propres émotions ?

Et puis il y a le scénario inverse – dont je suis une grande experte : l’hypersensibilité. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, être hypersensible peut totalement aller à l’encontre de l’empathie, si l’on n’a pas appris à réguler ses émotions. Lorsque l’on ressent très fort l’émotion de l’autre, on peut la laisser déteindre sur soi (voire même cela peut en créer une autre qui nous envahit). Ce flou artistique entre nos émotions et celles de l’autre s’appelle, en psychologie, le ‘personal distress’ (détresse personnelle). Le résultat est que l’on arrête d’être en empathie avec l’autre et on commence à se focaliser sur soi et sa propre émotion. Il se peut alors que l’on fasse tout pour minimiser l’émotion de l’autre (en lui disant que ce n’est rien, que ça va aller…), que l’on prenne ses jambes à son cou ou que l’on essaye de ‘sauver’ l’autre, non pas pour son bien-être (bien que l’on soit persuadé du contraire…), mais pour le nôtre : parce que leur émotion est juste trop difficile à gérer.

Notre capacité à percevoir mais aussi réguler nos propres émotions va ainsi être déterminant par rapport à notre capacité d’empathie (cf. L’étude d’Eisenberg qui montre que les individus capables de réguler leur émotions sont plus à même d’être empathique et d’interagir de façon ‘morale’ envers autrui.)
 

Facteur N°4 : L’étiquette que l’on colle sur l’autre

 
Enfin un quatrième facteur – et pas des moindres – sont nos à priori par rapport à l’autre. Selon l’étiquette que je vais lui coller, je vais ressentir plus ou moins d’empathie pour cette personne.
Reprenons l’exemple de l’écraseur de pied de métro. Admettons que je considère que c’est de sa faute, qu’il est responsable de ce comportement irrespectueux (qui est d’autant plus irrespectueux qu’il ne s’est même pas excusé…), bref que c’est un ‘méchant’… Et bien ce qui se passe dans mon cerveau est alors étonnant : le simple fait de l’étiqueter comme étant le ‘méchant’ va diminuer l’activation de mes circuits neuronaux d’empathie (cf. cette étude de Singer et cette étude de Decety).

Admettons ensuite que quelqu’un d’autre lui marche sur les pieds, et bien selon létude de Singer, il serait alors possible que mon circuit récompense s’active : c’est à dire que je prenne plaisir à le voir payer à son tour… A noter que cet effet là n’a été observé que chez les participants hommes. Les hommes auraient-il un besoin de justice plus développé ? Difficile de généraliser à partir d’une seule étude. Je laisse aux hommes le soin de voir si cela leur parle ou pas…

En gros, selon les a priori que je vais avoir sur la personne (responsable ou non de sa condition, juste ou injuste etc.) mon niveau d’empathie ne va pas être le même.
 

Les conséquences de ces facteurs

 
Reprenons les exemples de l’écraseur de pied et du plombeur d’ambiance au travail.

Pour l »écraseur de pied de métro : à priori c’est un inconnu (facteur N°1), il a fait quelque chose qui me parait injuste (facteur N°4) et selon mon émotion du moment et ma capacité à gérer mes émotions, et bien il se pourrait que j’accumule les 4 facteurs obstacles à l’empathie… Résultat des courses, il se pourrait bien que je me mette en mode Al Pacino dans le Parrain pour lui expliquer un peu ce que le respect veut dire pour moi…

Pour mon collègue plombant : ce n’est pas un inconnu mais je lui ai collé une étiquette de « plombeur d’ambiance’ depuis des mois (facteur N°4), du coup on ne peut pas dire que je l’aime beaucoup (facteur N°1)… et pareil, il y aura des jours où je serai de bon poil et sa mauvaise humeur me glissera sur la peau, et puis il y aura les jours où moi aussi je serai remonté, là ma compréhension et ma patience risque de ne pas tout à fait être les mêmes…

Pas facile l’empathie !  Mais du coup, qu’est-ce qu’on fait pour la muscler ? C’est ce que nous verrons dans le prochain article !
 

Références

[1] – « The Social Neuroscience of Empathy« , 2011, Editions Decety and Ickes

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